Iris et le cadeau des enfants de Rocinha

Iris était venue me chercher à Copacabana...

... devant le Copacabana Palace dans lequel j'avais l’incroyable chance de séjourner lors de ce voyage professionnel au Brésil. Nous avons sauté dans un bus local bondé et nous sommes parties pour Rocinha, la plus grande favela de Rio, qui abrite près de 200 000 cariocas sur 1 km carré. J'étais sur le point de vivre, en l'espace de quelques minutes, un contraste comme la vie nous en réserve parfois : du palace surréaliste et clinquant sur la plus belle plage de la planète à la favela la plus célèbre du monde. 

Petit-déjeuner au bord de la piscine du Copacabana Palace quelques minutes avant qu'Iris ne vienne me chercher.

Ce moment était tout simplement extraordinaire.

Huit mois plus tôt, j'avais rencontré Iris Della Roca, alors âgée de 25 ans, par l'intermédiaire d'une amie commune et j'avais décidé d'exposer son travail photographique dans une galerie d'art installée au coeur une destination commerciale de luxe. L'exposition d'Iris "Comme le roi n'est pas humble, que l'humble soit roi" présentait une autre vision des enfants de la favela de Rocinha, loin des images toujours terribles des médias.

Grâce à l'extraordinaire regard photographique d'Iris, les enfants de Rocinha pouvaient s'échapper un instant de leur situation difficile et entrer dans un monde d'innocence et d'imaginaire, laissant libre cours à leur imagination, alors qu'ils devenaient des mannequins pour un jour... Rocinha est devenu la toile de fond d'un fabuleux défilé, les enfants portant des tenues de mode aux couleurs extravagantes et prenant une pose naturelle, mettant en valeur leur environnement avec joie et une immense poésie qu'Iris a magnifiquement capturée.

L'idée derrière ce partenariat et cette exposition avec Iris était également de récolter des fonds qui seraient intégralement reversés à l'association caritative "Swap a weapon for a paintbrush" à laquelle Iris participait dans la favela, une association créée par le très charismatique Tio Lino (Iris est française mais vivait alors dans une favela de Rio 6 mois par an).

Cette exposition était la première d'Iris et ce fut un grand succès : émouvante, belle, différente, le talent photographique et le grand cœur d'Iris s'inséraient parfaitement, de manière étrangement inadéquate à première vue mais évidente dans ce luxueux environnement parisien de shopping et de mode. La pureté et la sincérité de son travail n'avaient d'égal que son talent et la beauté intrinsèque de ses photographies. Son projet était enrichi d'une histoire d'amour qui nous a touchés et qui était universelle.

Iris a expliqué son projet avec de beaux mots :

"J'ai rencontré ces enfants (...) avec l'association "Echanger une arme contre un pinceau" (Rocinha mundo da arte) dans la favela de Rio de Janeiro où je vivais. On se voyait presque tous les soirs, de 19h à 23h et on faisait tout ensemble, les devoirs, les dessins, les peintures, on parlait de leur vie, de tout, ils venaient chez moi, on cuisinait ensemble. Je connais aussi leurs familles. C'est alors que j'ai expliqué mon idée de créer un magazine de mode. C'était une façon de donner du pouvoir à leur vie : à travers la photographie, ils oubliaient les "règles" de la société dans laquelle ils vivent et remettaient même en question certains aspects superficiels de la mode.

Ces enfants ont laissé leur enfance derrière eux à un très jeune âge, ils jouent rarement, sont très violents et stoïques. C'est un autre aspect qui m'a choquée, c'était une lutte pour les amener à montrer de la joie. Ils sont très réservés et gardent leurs émotions à l'abri.

À travers les jeux de rôle, je voulais les aider à s'amuser, à redevenir des enfants, à commencer à penser qu'ils sont des "stars", qu'ils sont beaux et forts. Par le jeu de rôle, je voulais qu'ils laissent leurs inhibitions derrière eux, et que ce soit une forme de libération pour eux. Que leurs problèmes quotidiens ne viennent pas gâcher le plaisir de jouer. Je voulais que la favela soit omniprésente en toile de fond, mon but était de les photographier dans leur maison mais sous un jour nouveau. Ces photos sont le fruit de leur imagination, de leurs rêves. Quand ils ont vu le résultat, ils étaient heureux, fiers et se trouvaient beaux. "

Photographie d'Iris Della Roca, exposition "Comme le roi n'est pas humble, que l'humble soit roi".

Photographie d'Iris Della Roca, exposition "Comme le roi n'est pas humble, que l'humble soit roi".

Ce jour-là à Rio, j'étais donc très excitée de retrouver Iris, mais cette fois dans son environnement habituel et vivant, celui de la favela, et de rencontrer les enfants derrière les photographies que nous avions exposées quelques mois plus tôt.

Nous avons quitté le bus au bas de Rocinha. Dès lors, et à perte de vue, ce n'était qu'une succession de petites maisons colorées, montant une grande et très raide colline, dessinant un paysage qui conviendrait mieux à un dessin animé tant il semblait que tout pouvait s'écrouler en un instant, avec des maisons construites les unes sur les autres, parfois jusqu'à 10 étages. C'était un spectacle si puissant que je ne pouvais m'empêcher d'y trouver une immense beauté, émerveillée par le pouvoir de l'esprit humain de créer son propre espace malgré des conditions apparemment impossibles. On a beaucoup écrit sur Rocinha, la misère, la violence, l'impossible justification des circuits touristiques comme s'il s'agissait d'une banale attraction. Rocinha est bien sûr une réalité de la pauvreté et des conditions difficiles, mais c'est aussi un aperçu de vies, de familles qui rient ensemble, partagent un moment, offrent le peu qu'elles ont.

Iris était partout chez elle alors que nous parcourions le labyrinthe de rues étroites et de passages, les gens lui faisaient signe et elle offrait son immense sourire et des mots gentils en retour, prenant des nouvelles des membres de la famille, partageant des anecdotes. 

Rocinha, Rio de Janeiro - Photographie Atelier Ikiwa

Bien sûr, ce jour-là, je ne faisais que passer, j'étais aussi une sorte de touriste, et le soir même, je retournais au Copacabana Palace pour déguster un cocktail au bord de la piscine, et cette ironie ne m'échappait pas, mais pendant quelques heures, je faisais partie de ces histoires, montrant et offrant aux enfants le magazine de mode qu'Iris avait rêvé de créer avec eux, et qui était devenu une réalité puisque nous avions décidé de le produire et de le vendre à Paris. Je rencontrais Isabelly, la petite fille aux papillons, dont la grâce qu'Iris avait capturée et que j'admirais depuis de nombreux mois est encore très présente sur un mur de mon appartement ; je discutais avec Tio Lino et visitais l'atelier où il accueillait les enfants après l'école pour qu'ils aient un endroit où apprendre, jouer, créer et rêver plutôt que d'être laissés seuls dans les rues ; je visitais des maisons, rencontrais des familles et me laissais emporter dans un tourbillon de rires, de sourires, d'énergie et de bonne humeur comme j'en avais rarement connu auparavant.

Iris avec des enfants de Rocinha et Tio Lino - Photographie Atelier Ikiwa

J'ai quitté la Rocinha ce jour-là avec plus que des souvenirs : la certitude d'avoir laissé un peu de moi-même dans cet endroit et que cet endroit m'avait changée.

Quand je suis partie, les enfants m'ont offert un cadeau : une petite sculpture qu'ils avaient faite, ronde comme le Paio de Açucar, recouverte de petits morceaux de bois représentant les maisons de Rocinha, avec le Cristo Redentor au sommet.

Le cadeau des enfants de Rocinha - Photographie Atelier Ikiwa

Ce cadeau est plus émouvant et bien meilleur que n'importe quel souvenir que je pourrais obtenir de n'importe quel voyage : c'est un souvenir vivant, fait à la main avec amour, avec une signification incroyablement forte, le pouvoir d'un objet et des souvenirs qui y sont attachés. Il trône en bonne place chez moi depuis quelques années maintenant, un rappel quotidien du pouvoir des rencontres et de la réalisation de ses rêves.

www.irisdellaroca.com

Photo de couverture d'Iris Della Roca, portrait d'Isabelly, alors âgée de 13 ans, à Rocinha.

Article rédigé par Laurence Corteggiani

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