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Article: Sekimori : Les pierres gardiennes du Japon

Sekimori : Les pierres gardiennes du Japon

Sekimori : Les pierres gardiennes du Japon

Atelier Ikiwa est fier de proposer pour la première fois en France le travail d’Eri, fondatrice de la marque WARA, dont nous présentons une série de sekimori. Eri crée des œuvres unissant pierre et fibres naturelles, qui prolongent les gestes rituels du Japon ancien et invitent, dans nos intérieurs contemporains, à une contemplation silencieuse. Nous vous invitons à en découvrir la genèse.

L’art du seuil

Dans les jardins japonais, certaines pierres, entourées d’une corde soigneusement tressée, semblent garder le passage. Ni barrière ni obstacle, elles invitent simplement à ne pas aller plus loin. Ces pierres, appelées Sekimori-ishi (関守石) ou Tome-ishi (止石), appartiennent à l’un des gestes les plus subtils de la culture japonaise : marquer la limite sans contraindre, préserver le calme d’un espace par la seule présence d’un signe.

Le Sekimori-ishi est toujours lié à son tressage. Sans cette corde, nouée à la main selon une tradition très ancienne, la pierre perd son sens. Cette corde rappelle les shimenawa, les cordes sacrées que l’on trouve dans les sanctuaires shintō, délimitant les lieux habités par le divin. À travers elle, la pierre devient un seuil spirituel, un point d’attention dans le paysage.

Une tradition née des jardins de thé

L’histoire du Sekimori-ishi remonte au XVIᵉ siècle, à l’époque de Sen no Rikyū, maître fondateur de la cérémonie du thé. Dans les jardins menant au pavillon, appelés roji (« chemin de rosée »), les visiteurs cheminent sur des pierres de pas, les tobi-ishi, au milieu de la mousse et du silence. À certains embranchements, une pierre entourée d’une corde soigneusement tressée est placée en travers du chemin : c’est le Sekimori-ishi, “pierre qui garde”. Elle suggère la frontière d’un espace à préserver, avec douceur, sans mot et sans contrainte.

Le Tome-ishi, « pierre qui arrête », avec sa corde simple nouée parfois en croix, est son proche parent. Utilisé plutôt dans les temples ou certains espaces de passage, il signale un espace fermé ou réservé, toujours avec cette même retenue japonaise qui préfère le signe au panneau.

Leur différence tient dans l’intention (l’une interrompt, l’autre préserve), mais en réalité ces deux pierres traduisent la même philosophie : celle de la limite consciente, du passage entre un espace et un autre, entre le mouvement du monde et la quiétude intérieure.

Une rencontre à Kyōto

Une anecdote personnelle : la première fois que j’ai croisé l’une de ces pierres, un Tome-ishi en l’occurrence, je me souviens très bien, c’était devant le sublime pavillon d’argent de Kyōto, à l’époque où l’on pouvait encore s’en approcher de très près. L’an 2000 arrivait, le jardin était quasiment désert, on était en février, c’était mon premier voyage au Japon, et par le plus grand des hasards Meryl Streep était aussi là, juste à côté de moi, en contemplation ébahie. Un moment immobile, comme une communion, et cette pierre mystérieuse posée sur un petit pont devant l'étang dans lequel le Ginkakuji se reflétait. J’ai compris plus tard à quoi elle servait, mais sur le moment elle m’avait semblé être une pierre absolument sacrée, posée là pour guider vers un chemin spirituel que je ne comprenais pas mais qui m’était apparu comme extrêmement important, dans ce lieu qui contenait déjà tout un monde.

WARA : tisser le seuil dans le monde contemporain

C’est dans l’héritage des pierres sekimori et cet art du seuil que s’inscrit donc le travail d’Eri, fondatrice de la marque WARA, que j’ai rencontrée lors de mon dernier voyage au Japon. Touchée par la sensation méditative du contact avec la paille de riz, Eri commence en 2020 à tresser des cordes inspirées des shimenawa, ces cordes sacrées qui ornent les sanctuaires shintō et symbolisent la frontière entre le domaine sacré et l’espace ordinaire.

Chaque Sekimori qu’Eri réalise reprend ce geste ancestral : autour d’une pierre choisie minutieusement sur les plages des côtes de la préfecture de Shizuoka, où elle réside, elle tresse à la main une corde de paille (wara) ou de chanvre purifié (seima). Il existe plusieurs façons de nouer la corde, mais celle-ci doit être suffisamment longue pour former une sorte de poignée. Le tressage, exécuté lentement, dans le même sens que les shimenawa, confère à la pierre une tension presque spirituelle. Eri crée des scénographies et des intentions qui transposent la culture ancienne dans le monde contemporain.


Le sanctuaire d’Ise Jingū : le cœur du geste sacré

Par son travail, Eri fait écho à l’esprit d’Ise Jingū, le cœur spirituel du Japon, dédié à la déesse Amaterasu, ainsi qu’aux rochers sacrés Meoto Iwa, situés non loin de là. Ces deux lieux incarnent la pureté et le lien entre les mondes visible et invisible. Le sanctuaire d’Ise, reconnaissable à ses constructions de bois clair, évoque la sobriété et la régénération perpétuelle du sacré. Les rochers Meoto Iwa, reliés par une corde sacrée (shimenawa) tressée de paille de riz, symbolisent l’union et la continuité des forces de la nature.

Le chanvre purifié (seima, un chanvre nettoyé de toute impureté spirituelle), utilisé dans les rites les plus solennels, représente la clarté et la force intérieure. La paille de riz, plus douce, évoque la chaleur du quotidien et le rythme des saisons. C’est dans cet esprit qu’Eri réalise ses tressages, recherchant la même harmonie entre tension et apaisement, entre force et silence. Ses Sekimori, façonnés de chanvre purifié ou de paille de riz, perpétuent ce geste ancestral de respect et de conscience de l’espace.

Les Sekimori, pierres à vivre

Le travail d’Eri s’ancre dans deux notions essentielles de l’esthétique japonaise. Ma (間) désigne l’intervalle qui fait respirer les formes, l’espace et le temps qui se donnent entre les choses. Yohaku (余白) est la beauté de l’espace laissé libre, le blanc qui révèle la présence. Dans ses Sekimori, la pierre et la corde ménagent cet intervalle et cet espace actifs, afin que le regard se pose et que l’esprit retrouve un centre. Ces concepts, que l’on retrouve dans la peinture, la calligraphie ou l’architecture japonaises, forment la trame invisible de son œuvre.

Disposés dans un espace que l’on chérit, les Sekimori WARA permettent de créer un espace de respiration, un seuil intérieur où l’esprit peut se recentrer. En les plaçant dans les marges paisibles de la vie quotidienne, ils trouvent naturellement leur place et accompagnent avec calme.

Installer un Sekimori dans un espace épuré permet de vivre la philosophie zen du yohaku (余白), cette beauté du vide qui crée l’équilibre. Ils offrent un cadre pour apaiser l’esprit et savourer la lenteur d’un moment tranquille. Aujourd’hui, ces pierres trouvent naturellement leur place dans les intérieurs contemporains, sur une table, une étagère, au centre d’une pièce ou sur un bureau, où elles allègent les tensions d’un lieu.

Chaque pierre est unique, choisie pour sa forme et sa présence, chaque corde tressée à la main selon un savoir-faire hérité des shimenawa. Leur rencontre forme un équilibre subtil entre matière et silence, nature et conscience.

Les sekimori WARA sont à découvrir pour la première fois en France dans le e-shop d’Atelier Ikiwa.

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