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Article: Hansan-ramie : la finesse inégalée d’un textile coréen ancestral

Hansan-ramie : la finesse inégalée d’un textile coréen ancestral

Hansan-ramie : la finesse inégalée d’un textile coréen ancestral

Dans une vallée discrète de la province de Chungcheongnam-do, à Hansan, un fil d’une blancheur légère continue de relier les époques. La Hansan-ramie, ou Hansan mosi en coréen, incarne l’un des plus anciens savoir-faire textiles de Corée. Tissée à la main à partir de fibres extraites de la plante de ramie, cette étoffe délicate, à la fois résistante et translucide, est le fruit d’une tradition millénaire portée par des gestes transmis de génération en génération. Classée patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO depuis 2011, la Hansan-ramie n’est pas seulement un textile : elle est la mémoire vivante d’un art de faire profondément enraciné dans la terre et la culture coréennes.

Un héritage tissé dans l’histoire

La ramie, appelée mosi en coréen, est cultivée en Corée depuis les périodes les plus anciennes. Dès l’époque des Trois Royaumes, les tissus fins en fibres végétales font l’objet de productions importantes, notamment sous Silla unifié, où l’on développe des techniques de tissage si avancées qu’elles permettent de produire des étoffes d’une rare finesse. À l’époque de Goryeo, ces techniques se diversifient, donnant naissance à des variantes sophistiquées, si légères qu’on les compare aux ailes d’une cigale. Les documents historiques rapportent que ces tissus étaient envoyés comme tribut à la Chine impériale, au même titre que le ginseng, tant leur qualité était reconnue.

Durant la dynastie Joseon, la ramie devient un textile couramment utilisé, porté aussi bien par la noblesse que par les gens du peuple. Dans une société confucéenne structurée par le rang, elle est utilisée pour les vêtements officiels, mais aussi comme offrande au roi ou cadeau diplomatique. Légère et respirante, elle est prisée pour les habits d’été. Certaines pièces blanches, portées sans sous-vêtement, laissent deviner le corps avec une telle légèreté qu’elles expriment une esthétique de la retenue, à la fois pudique et raffinée, propre à la culture vestimentaire coréenne.

Parmi les régions productrices, Hansan se distingue très tôt. Un document datant de 1454 mentionne déjà huit villes spécialisées dans la fabrication de ramie, dont Hansan, qui deviendra au fil des siècles le cœur battant de cette tradition. Située dans le comté de Seocheon, la région bénéficie d’un climat chaud et humide, propice à la culture de la plante. On dit que sa ramie, d’une blancheur et d’une régularité exceptionnelles, était la plus recherchée pour les tissus de haute qualité. À la fin du XIXe siècle, puis sous l’occupation japonaise, Hansan devient un centre de production et de commerce majeur. Dans les années 1930, la Hansan-ramie est déjà désignée comme le plus prestigieux des tissus coréens.

La culture exigeante d’une plante précieuse

La plante de ramie cultivée à Hansan est une variété améliorée, introduite dans la région il y a environ quarante ans, mais enracinée dans une culture ancienne. Plantée au printemps, généralement en avril, elle est récoltée jusqu’à trois fois par an. La seconde récolte, en août, est celle qui donne la fibre la plus fine et la plus facile à travailler.

La croissance de la plante suit un rythme précis : au bout de quelques jours, les tiges émergent du sol. En un peu plus d’un mois, elles atteignent jusqu’à deux mètres de haut et se parent de feuilles dentelées, duveteuses au revers. Des fleurs apparaissent ensuite : blanches ou jaunes pour les mâles, vert pâle pour les femelles. Le climat chaud et les collines douces de Seocheon offrent les conditions idéales à cette culture exigeante.

Au moment de la récolte, les tiges sont coupées à la base, nettoyées de leurs feuilles, puis regroupées en bottes. Ce travail est effectué très tôt le matin, principalement par des hommes, car la fibre doit être extraite avant que l’humidité ne s’évapore.

De la tige au fil : un art du geste

La transformation de la plante en fil est un long processus entièrement manuel. La peau de la tige est d’abord détachée à l’aide d’un petit couteau spécifique. Elle est ensuite divisée pour en séparer l’écorce extérieure du cœur fibreux. Ces fibres sont lavées, mises à sécher au soleil, puis blanchies à l’eau et à la lumière. L’ombre est parfois préférée pour éviter une dégradation de la matière.

L’étape la plus délicate est celle du fendage, où la peau de ramie est fendue avec les dents afin de produire des fibres de largeur égale. Ce geste demande une grande dextérité, car de lui dépend la finesse et l’homogénéité du fil. 

Une fois les fibres préparées, elles sont filées à la main. Le fil est composé en joignant, sur le genou, la tête d’un brin à la queue d’un autre, par simple torsion. Ce fil, d’une grande résistance malgré sa finesse, est ensuite tissé selon des méthodes traditionnelles. Le métier à tisser de Hansan est un modèle ancien, encore utilisé aujourd’hui dans certains ateliers familiaux. La qualité d’un tissu en ramie est mesurée selon le nombre de fils contenus dans une unité appelée sengju, correspondant à un segment de tissu standardisé. Plus cette densité est élevée, plus l’étoffe est fine, régulière et précieuse. La classe moyenne comporte entre 670 et 690 fils par sengju, la première classe entre 700 et 780, la classe spéciale entre 780 et 800, tandis que la classe de luxe dépasse les 880 fils. Les tissus les plus fins, presque translucides, sont considérés comme inégalés au monde, leurs prix dépassent les milliers d'euros et leur provenance précise très clairement identifiée.

Teinture naturelle et symbolique des couleurs

Une partie de la ramie produite à Hansan est laissée blanche. On l’appelle sang mosi lorsqu’elle est simplement débarrassée de sa gomme, et baek mosi lorsqu’elle est entièrement blanchie. Mais la tradition comprend aussi l’art de la teinture végétale, réalisé à partir de matières premières naturelles soigneusement sélectionnées. Chaque couleur est obtenue à partir d’éléments spécifiques, choisis pour leur intensité et leur symbolique. Le jaune est extrait des graines de gardenia, du curcuma, du coptis, du sophora ou de la rhubarbe, avec une préférence marquée pour les graines de gardenia. Le bleu provient de la plante Mercurialis leiocarpa, de la fleur de jour (dayflower) ou de l’iris, la première étant la plus utilisée. Le rouge est obtenu grâce au carthame, au bois de sappan ou à la garance. Les teintes brunes ou brunâtres sont extraites de l’écorce, des tiges ou des fruits de certains arbres disponibles localement. Enfin, le noir est issu de substances comme la noix de galle, l’encre concentrée, le charbon, les cendres, l’écorce de chêne ou les écorces d’agrumes séchées. La teinture est fixée à l’aide d’un mordant, puis le tissu est rincé et séché à l’ombre.

Ces couleurs ne sont pas seulement esthétiques : elles s’inscrivent dans un système symbolique ancien, celui des obangsaek, les cinq couleurs cardinales de la tradition coréenne. Le bleu, associé à l’est, évoque le printemps et l’élément bois. Le rouge, lié au sud, représente le feu et l’été. Le blanc symbolise l’ouest, le métal et l’automne. Le noir, couleur du nord, renvoie à l’eau et à l’hiver. Quant au jaune, placé au centre, il incarne la terre, l’équilibre et la noblesse. Ces teintes, issues du yin et du yang et de la théorie des cinq éléments, confèrent au textile teint un sens cosmologique profond.

Un trésor vivant du patrimoine coréen

Aujourd’hui encore à Hansan des femmes perpétuent cet artisanat avec une patience infinie. Transmis au sein des familles, ce savoir-faire a résisté aux bouleversements de l’histoire, porté par la fierté locale et le soutien d’institutions culturelles. En 1967, le tissage du mosi de Hansan est reconnu comme patrimoine culturel immatériel important en Corée. En 2011, il est inscrit par l’UNESCO sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

La Hansan-ramie n’est pas un tissu comme les autres. Elle incarne l’ultime raffinement d’un artisanat qui conjugue la terre, la lumière, l’eau et la main. Elle représente la quintessence de ce que peut produire un équilibre entre nature et culture, patience et précision. Dans un monde saturé de textiles industriels, elle demeure l’un des rares exemples d’un tissu fait à la main, dans le respect d’une tradition plusieurs fois séculaire, sans équivalent dans le monde.

Atelier Ikiwa présente régulièrement une sélection de pièces en ramie coréenne, une occasion précieuse de découvrir la beauté intemporelle de ce textile. 

Cet article a été écrit à la suite d'une visite du musée de la hansan-ramie à Hansan, lieu très inspirant où cohabitent un musée "classique" qui retrace l'histoire et les spécificités de cette étoffe, et des espaces dans lesquels des femmes tisserandes de la région se réunissent pour travailler ensemble, en profitant pour montrer leurs techniques au grand public. Une jolie manière de continuer à ancrer cette étoffe dans le riche héritage coréen.

Toutes les photos © Atelier Ikiwa. Les mains sur les photos sont celles de Kim Sun-hee ♡ 

 

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