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Article: Sur les routes du Tōhoku : un Japon paisible, loin des foules

Sur les routes du Tōhoku : un Japon paisible, loin des foules

Sur les routes du Tōhoku : un Japon paisible, loin des foules

Région méconnue du nord-est du Japon, le Tōhoku évoque encore pour beaucoup les séismes et le tsunami de 2011. Marqué par cette tragédie, ce territoire reste injustement à l’écart des circuits touristiques classiques. Pourtant, le Tōhoku recèle une force tranquille, des paysages intacts, et une humanité rare. Ce voyage, plus sensible que touristique, m’a offert des expériences d’une grande intensité, au cœur d’un Japon extrêmement accueillant.

Le Tōhoku, entre montagnes et solitude

Le Tōhoku s’étend au nord de Honshū, la grande île principale du Japon. Il regroupe six préfectures, de Fukushima à Aomori, et reste l’une des régions les plus sauvages et rurales du pays. Ici, pas de mégapoles foisonnantes ni d’influenceurs qui mitraillent, mais des lacs, des montagnes, des forêts profondes. Une terre de silence, souvent balayée par les vents et couverte de neige durant de longs mois. C’est aussi un territoire façonné par une histoire discrète et des traditions tenaces, qui trouvent peu d’écho dans les grands guides touristiques. Même si l’hiver doit y être féérique, les grandes quantités de neige doivent compliquer fortement le voyage. Je l’ai visitée en automne, période idéale et très douce, mais la région doit être superbe également au printemps, et sans doute très agréable en été lorsqu’il fait très chaud partout ailleurs.

Le Tōhoku, une terre d’artisanat et de laque

Si je suis venue dans le Tōhoku, ce n’était pas par hasard. Mon voyage n’avait rien d’un road trip classique. Il était guidé par une quête : celle des artisans de la laque, des ateliers discrets et des techniques rares que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. La région compte plusieurs foyers réputés de l’art du urushi, dont certains noms comme Aizu-nuri ou Hidehira-nuri résonnent auprès des connaisseurs.

Dans ces zones reculées, l’artisanat a conservé une densité, une pureté, et un ancrage territorial qui m’émeut profondément. Partir à leur rencontre impliquait de s’éloigner des axes classiques, de traverser des vallées isolées, parfois de manquer les « incontournables » des guides… mais cela a donné au voyage une saveur toute particulière. Le Tōhoku se dévoile ainsi, par fragments, par sensations, sans se livrer au premier regard.

Voyage dans le Tōhoku : Impressions de route

Sur les routes du Tōhoku, c’est une autre image du Japon qui se dessine. Celle d’un pays sans cafés design, sans vitrines léchées, sans foule. Un Japon sans vernis.

Ici, c’est le paradis des randonneurs. Moins de sites historiques, mais des panoramas qui coupent le souffle. C’est la nature, les gens, et cette ruralité qui surprend au premier abord. Pas de hordes de touristes comme à Kyōto, pas de foule. Une tranquillité totale. Elle fait du bien à l’âme.

C’est aussi une région parfaite pour une première conduite au Japon. Peu de circulation, des gens très tranquilles sur la route, des paysages somptueux qui rappellent le bonheur qu’il peut y avoir à conduire à son rythme. Seule contrainte : les travaux fréquents d’entretien des routes, mais ils n’ôtent rien à la fluidité du voyage. Hors des villes, le paysage devient de plus en plus rural, parfois même pauvre. On croise de nombreuses maisons abandonnées, des bâtisses sans âge, ni vraiment anciennes, ni vraiment modernes. L’architecture évoque des installations assez récentes, presque comme une "conquête du Nord", une sorte de colonisation douce de terres froides et isolées.

Les habitants, eux, sont d’une gentillesse désarmante. Ici, voir un étranger suscite encore la curiosité, et bien souvent de la joie. Dans un minuscule musée de la préfecture d’Iwate, j’étais seule avec une classe d’enfants de cinq ou six ans. Pendant quinze minutes, j’ai été bombardée de questions. Je leur ai appris quelques mots de français. Leur “au revoir” (en français) strident résonne encore dans ma mémoire. Un moment suspendu.

Les maisons abandonnées, l’architecture simple, sont sans doute liées à la rudesse du climat. Les conditions hivernales sont extrêmes dans cette partie du Japon : des quantités de neige inimaginables recouvrent chaque année les toits et les routes. Les habitations traditionnelles en bois ne résistent pas. On reconstruit vite, simple, fonctionnel.

Ce road trip a duré six jours. J’ai parcouru près de 1 200 kilomètres (bien plus que ce qui est donc indiqué sur la carte ci-dessous), bien trop pour un séjour aussi court, mais mon itinéraire était dicté par la découverte des foyers de laque, souvent très éloignés les uns des autres. J’ai volontairement manqué beaucoup de sites mentionnés dans les guides, par manque de temps et choix à faire, mais cela n’a pas été frustrant car je sais que j’y retournerai. Le but était ailleurs.

Itinéraire de 6 jours dans le Tōhoku : d’Aizu à Aomori

Aizu-Wakamatsu(préfecture de Fukushima)

Ville tranquille, entre nostalgie et lente modernisation. Dans les musées de la laque, souvent vides, on découvre des objets anciens qui laissent sans voix. L’histoire de la laque y est racontée sans grand apparat, souvent seulement en japonais (merci Google Translate !). Certaines techniques, comme l’Aizu-nuri, se dévoilent dans leur variété. Le soir à Aizu-Wakamatsu, il y a une ambiance qui semble tout droit sortie d’un film de Yasujiro Ozu : un calme derrière lequel on devine les routines du quotidien, une esthétique un peu nostalgique, des mondes qui cohabitent. Savoir observer l’imperceptible, une élégie du banal qui permet de soulever le voile d’un Japon éloigné des images stéréotypées dont nous sommes abreuvés.

Yamagata(préfecture de Yamagata)

À l’écart de la ville, le village de Hirashimizu a été la jolie découverte de cette étape. Une poignée d’ateliers, à flanc de montagne et animés de chants d’oiseaux. Les potiers y travaillent une argile locale récoltée sur les pentes du mont Zao Les fours sont discrets mais accueillants, les formes familières. Rien de spectaculaire, mais quelque chose de juste. On ressent ici le lien profond entre terre, feu, usage.

Hiraizumi(préfecture d’Iwate)

S’il ne fallait garder qu’une image de cette ville attachante : le temple Chuson-ji. Il est encore tôt, le temple vient tout juste d’ouvrir ses portes, il y a des odeurs de terre, d’humidité et d’encens dans l’air. Je ne croise quasiment personne, sauf un chat, résident du temple, qui me suit et s’émerveille avec moi. Comment est-ce possible de visiter des centaines de temples au Japon et de ne jamais se lasser? Faut-il être formaté de manière particulière ? J’ai déjà entendu quelqu’un dire “ c’est toujours la même chose”. Mais rien n’est plus faux, et vous qui aimez le Japon vous le savez bien.

Le Chuson-ji est loin de tout circuit touristique classique, au nord de l’île principale de Honshū, dans la préfecture d’Iwate, et légèrement à l’écart d’une petite ville qui s’appelle Hiraizumi, dont je connaissais à peine l’existence avant de découvrir qu’elle préservait une riche tradition d’artisanat de la laque. Ce temple était sur mon chemin avant de poursuivre vers le nord. Il est l’un de mes plus beaux souvenirs de ce périple dans le Tōhoku.

Une douceur, la nature dans tous les tons de verts et de grands arbres sombres et mystérieux, des pavillons de bois dispersés où les seuls sons proviennent du souffle du vent, des gouttes de pluie qui tombent sur les feuilles d’érable et de ses propres pas que l’on voudrait le plus léger possible.

Je croise un énorme crapaud à l’entrée d’un petit pavillon, tout aussi étonné que moi de ce tête à tête imprévu. Il y a un pavillon entièrement couvert d’or, caché des regards à l’intérieur d’un autre pavillon, trésor qui ne se partage pas (en photos en tout cas). Évidement le tout est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

En quittant le Chuson-ji je me suis demandée si je le reverrai un jour (ce besoin de toujours retourner dans les endroits aimés !). Peut-être pas, mais il restera toujours un souvenir ébloui.

Kakunodate(préfecture d’Akita)

Dans le vieux quartier de Kakunodate, les rues sont larges, bordées de palissades noires. Le temps y glisse lentement, comme ralenti par l’épaisseur des murs. Ancienne ville de samouraïs, elle conserve encore une dizaine de sublimes résidences historiques, aux toits bas, aux cours ombragées, où les mousses couvrent les pierres et où les érables penchent tendrement vers les haies.

Les maisons, pour certaines encore habitées, semblent veiller sur une mémoire silencieuse. Quelques-unes s’ouvrent aux visiteurs, sans mise en scène inutile. On y entre sur la pointe des pieds, accueilli par l’odeur du bois ancien, les tatamis usés, les objets du quotidien restés à leur place.

Au début de l’automne lorsque je l’ai visitée les érables se teintaient lentement de rouille et de feu. L’air était plus frais, plus net. La lumière dorée, rase, presque mélancolique. Pas de foule. Juste le bruit des pas sur le gravier et, parfois, un volet qui grince. Kakunodate impose tout naturellement sa beauté tranquille, à pas feutrés.

Tsuru-no-yu(préfecture d’Akita)

En préparant mon itinéraire matinal pour relier Kakunodate à Morioka (préfecture d’Iwate) je découvrais l’existence de Tsuru-no-yu (les sources de la grue 鶴の湯), qui n’était pas répertorié dans les guides que j’avais lus sur la région. Un onsen caché dans la montagne, fondé au XVIIe siècle, et autrefois fréquenté par les samouraïs en quête de repos et de soins, dont la légende disait qu’une grue blessée y aurait été aperçue se baignant dans ses eaux pour guérir (d’où son nom) : voilà qui était très inspirant !

La route pour y arriver était somptueuse, devenant de plus en plus sinueuse, la dernière partie ressemblant plus à un large chemin de montagne qu’à une route d’ailleurs. Au bout l’impression que le temps s’était arrêté au 17ème siècle : quelques maisons en bois et toits de chaume blotties dans le creux d’une colline qui déployait ses teintes automnales en arrière-plan, les fumées des bains extérieurs et les chauffages du ryokan qui s’élevaient dans le ciel pur, une petite rivière impétueuse, un bout du monde ravissant, quintessence d’un Japon fantasmé, d’un charme fou.

Morioka(préfecture d’Iwate)

Une ville de taille moyenne, sans charme évident, mais avec de belles surprises dont la vision un peu irréelle du mont Iwate, le“Mont Fuji du Nord”, que l’on voit s’approcher au fur et à mesure que les kilomètres sont avalés, un beau volcan au cône presque aussi impressionnant que son illustre cousin. Morioka est une ville où l’on observe le travail du métal coulé, le geste patient, la précision des finitions.

Ninohe(préfecture d’Iwate)

Dans les hauteurs de Ninohe, cachée aux détours de petites routes de campagne, une forêt d’arbres à laque (urushi no ki), qui a à elle-seule justifié ce voyage. Une forêt silencieuse, un alignement de troncs fins striés de bandes horizontales. La revitalisation de ces arbres (aujourd’hui la laque vient majoritairement de Chine) est tellement importante. C’est là que tout commence, goutte après goutte, cicatrice après cicatrice. À quelques kilomètres, le temple Tendai-ji est désert, on y croise des jizō aux bonnets de laine rouge qui veillent sur les âmes des enfants. Fondé au VIIIᵉ siècle, ce temple est à l’origine de la tradition de laque de la région : les moines y utilisaient et transmettaient des savoirs qui ont façonné l’art local du urushi. Un lieu monastique, silencieux, perdu dans la végétation. Rien n’est mis en scène. Et c’est précisément cela qui touche.

Kazuno(préfecture d’Akita)

Ville-étape modeste, presque sans image, destination fréquentée pour ses sources chaudes mais sans grand charme, comme oubliée du monde. Et pourtant, l’un des grands souvenirs du voyage : une nuit et un dîner dans une maison d’hôte exceptionnelle (à retrouver dans la section “où dormir“)

Ōdate(préfecture d’Akita)

C’est ici que naît le magewappa, c’est-à-dire le « bois courbé », une tradition japonaise vieille de 400 ans qui consiste à découper de fines lamelles de cèdre (le plus souvent), qui sont ensuite bouillies pour être assouplies puis courbées autour de formes conçues sur-mesure. Les ateliers se visitent parfois, sur rendez-vous. On y sent l’odeur du cèdre, la chaleur des mains, la précision du geste. L’assemblage et la fixation des éléments se font à l’aide de morceaux d’écorces de cerisier. Chaque élément est travaillé pour être parfaitement en harmonie. L’ensemble du processus dure plusieurs semaines.

Hirosaki(préfecture d’Aomori)

Hirosaki est une ville raffinée, profondément marquée par sa culture. Ancienne cité féodale, avec son château, ses jardins, ses temples, elle a su préserver un patrimoine vivant. Je n’avais initialement pas prévu de visiter le centre Neputa. Je m’attendais à un lieu beaucoup trop touristique à voir les bus stationnés sur l’immense parking. En réalité, c’est tout le contraire. On y découvre les immenses chars-lanternes du Hirosaki Neputa Matsuri, ce festival d’été où ils sont tirés dans les rues, accompagnés de percussions et de chants graves. Hors saison, ils dorment ici, rangés dans la pénombre, mais toujours chargés de tension. Les visages peints (guerriers, belles femmes en kimono, démons) semblent prêts à s’animer au moindre souffle.

Tsugaru(préfecture d’Aomori)

Plus qu’une ville, une région de forêts et de brumes. Le bois de hiba, typique de cette zone, est dense, parfumé, résistant aux insectes. Utilisé pour les constructions et les objets du quotidien. Les scieries sont discrètes, mais actives. Une matière noble, qui imprègne tout. Même l’atmosphère semble différente ici : plus rugueuse, plus minérale.

Aomori(préfecture d’Aomori)

Dernière étape. Aomori est une ville récente, tournée vers la mer et les transports. Pas de centre ancien, peu de traces du passé. On y sent le vent, le froid, l’hiver qui s’annonce. On y revient à la modernité, aux horaires, aux trains. Le Shinkansen repart vers le sud, Tokyo puis Kyōto. On quitte le Tōhoku comme on sort d’un rêve lent, encore enveloppé de montagnes, de bois, et de silence.

Louer une voiture et circuler dans le Tōhoku

Pour circuler j’avais choisi de louer une voiture auprès de Nissan-Rent-a-car, car c’est évidemment, compte tenu des distances et de l’éloignement des sites les uns avec les autres, de leur isolation aussi, le plus facile moyen d’être totalement libre de ses mouvements. Il n’est sûrement pas impossible de parcourir le Tōhoku en trains et bus, les réseaux sont toujours denses au Japon, mais les horaires plus contraignants, bien sûr, sans compter les lieux, en pleine nature qui ne voit pas beaucoup de transport public passer - voire pas du tout. Donc une option qui nécessite d’avoir du temps devant soi.

Pour rappel, au Japon on roule à gauche (mais le cerveau s’adapte très vite à partir du moment où le volant est “du bon côté”) et un permis international ne suffit pas, il faut une traduction certifiée de son permis de conduire national, réalisée au Japon, donc à anticiper plusieurs mois avant le départ impérativement. En France cette traduction peut être réalisée avec l’aide de l’agence Japan Experience. Une fois obtenue elle est valable pour toute la durée de vie du permis de conduire qui a été utilisé.

De Tokyo j’ai pris le Shinkansen jusqu’à Koriyama (1h40 de trajet) où j’ai récupéré le véhicule de location, pour éviter la sortie de Tokyo et la longue route jusqu’à Aizu-Wakamatsu, première étape. Vous pouvez idéalement commencer le périple plus haut, et aller en Shinkansen jusqu’à Sendai (pour moi Aizu était une halte importante dans le cadre de mon étude de la laque, mais en voyage découverte du Tōhoku “classique” elle n’est absolument pas indispensable).

Hébergements dans le Tōhoku : adresses testées et approuvées

Le choix des hébergements est assez limité, la région manque de structures, les options sont donc bien souvent des hôtels business proches des gares (aucun charme) ou des petites maisons d’hôtes (option formidable mais que j’ai essayé d’éviter car je ne voulais pas avoir trop de contraintes horaires pour les arrivées et les départs).

J’ai fait beaucoup de recherches pour trouver des lieux de charme, qui ont parfois nécessité d’aller dans des villes ou des villages dans lesquels je n’aurais jamais mis les pieds, j’avais donc optimisé l’itinéraire en conséquence, afin de ne pas perdre trop de temps tout en me faisant plaisir de temps en temps (car pour moi l'hébergement n'est jamais juste fonctionnel, il contribue au plaisir du voyage).

À Aizu-Wakamatsu : Ryokan Tagoto avec un délicieux (et pantagruélique !) repas et un accueil absolument charmant. Peut se réserver sur Booking.com

À Hiraizumi : Iris Yu pas passionnant mais fonctionnel et très bien situé. Peut se réserver sur Booking.com

À Kakunodate : Machiya Hotel Kakunodate emplacement formidable, fonctionnel et de bonne tenue. Se réserve sur leur site.

À Kazuno (petite ville de sources chaudes au milieu de nulle part entre Ninohe et Tsugaru) : Yuzaka maison d’hôte fabuleuse et repas vegan d’anthologie. La plus belle surprise du séjour ! Se réserve par mail.

À Tsugaru : Komoru. Dans une zone sans aucun intérêt, une vieille maison rénovée pleine de charme, très atypique, chambre magnifique et repas superbe. Peut se réserver sur Booking.com

Toutes les photos © Atelier Ikiwa.

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