“48 thés et 100 souris”, le Japon et la couleur

Lorsque l’on pense aux couleurs du Japon ce sont généralement des tons sourds qui nous viennent à l’esprit, une infinie variation autour de gris, de bleus, de verts, de marrons, de roses pâles, qui se font discrets et élégants comme s’il s’agissait de garder une certaine retenue.

Comme dans d’autres domaines culturels et artistiques, les Cours Impériales japonaises successives ont codifié les couleurs, leurs usages, les interdits (les exclusivement réservées aux dignitaires) et les autorisations (les couleurs autorisées au peuple) en fonction du statut des individus dans la société. Une approche passionnante qui éclaire sur l’esthétique que nous connaissons aujourd’hui du Japon et qui n’en finit pas de nous émerveiller.

L’essence de la couleur japonaise

Le Japon a développé une profonde culture de la teinture naturelle, utilisant les resources de la nature pour produire, grâce aux plantes tinctoriales, du bleu (avec l’indigo - ai), du rouge (avec le carthame - benibana), du violet (avec le lithosperme - murasaki) et le jaune (avec le miscanthus - kariyasu). Ces compétences ont permis de créer une infinie palette de tonalités qui répondent aux préceptes du wabi sabi, l’idée d’un raffinement tout en simplicité et de la beauté des choses sur lesquelles la patine de l’âge marque son passage.

La Cour Impériale de Heian a définit les cadres dans lesquels toute chose devait s’inscrire, la codification du geste, de l’attitude, du mot, de l’environnement, du cérémonial, qui a tout naturellement englobé de manière très poussée le rapport à la couleur Et en particulier l’importance accordée aux passages des saisons et des transformations de la nature, plus grande source d’inspiration pour exprimer des émotions au travers de la couleur.

De cette époque puis des suivantes jusqu’à la période Edo, environ 1000 couleurs traditionnelles ont ainsi été créées, répertoriées, identifiées, une palette incroyablement riche, puisqu’il s’agissait d’exprimer l’infime nuance d’un changement qui s’opérait dans la nature ou la teinte très particulière d’un insecte ou un animal. Aussi ces couleurs traditionnelles avaient-elles des noms se rapportant à ce qu’elles décrivaient : Kakishibu-iro pour la couleur du jus du kaki (le fruit), Aokuchiba pour la couleur des feuilles tombées, lorsque celles-ci sont plutôt pâles, Koke-iro pour la couleur de la mousse, Matsuba-iro pour celle des aiguilles de pin, et ainsi de suite, sans oublier bien sûr la Sakura-iro, la couleur des fleurs de cerisier, et celles des fleurs de prunier écarlates, Kōbai-iro.

Ce catalogue de couleurs est d’une poésie extrême et on comprend ainsi pourquoi dans le Dit du Genji (ouvrage majeur de la littérature japonaise, écrit au XIème siècle par une femme de la cour, Murasaki Shikibu) tout ce qui a trait à la couleur revêt une telle importance, chaque choix fait, que ce soit celui d’un vêtement ou celui d’un objet, communicant un message codifié et voulu, mais jamais ostentatoire même si le sublime rouge d’une doublure pouvait être aperçu dans les mouvements gracieux du kimono.

Lorsque l’on sait que les dames de la cour portaient des kimonos superposés les uns sur les autres (jusqu’à 12 pour les plus nobles) et que chaque kimono devait s’harmoniser avec les autres grâce à un subtil jeu de manches plus ou moins longues, on comprend l’extrême attention et complexité apportées aux jeux des couleurs.

Quand les contraintes développent la créativité

Les règles strictes de la cour interdisaient au reste de la population l’utilisation de nombreuses couleurs (en particulier pour les kimonos, dont les matériaux étaient également limités au coton et au lin), ne laissant, en principe, que peu d’options au peuple. Mais c’était sans compter sur la créativité et la quête d’harmonie, qui a amené le développement d’une incroyable palette autour des couleurs autorisées: le gris, le brun et l’indigo (bleu).

Dans la longue liste des couleurs traditionnelles on remarque que beaucoup ont dans leur nom la référence au thé (cha) ou aux souris (nezu). On dit qu’il y a 48 couleurs cha et 100 couleurs nezu, qui sont toutes des déclinaisons autour du marron (les différentes teintes de feuilles de thé infusées) et du gris (les multiples variations de la fourrure des souris) !

De cette palette gris- bleu - marron de couleurs sourdes, légèrement fumées et douces, c’est toute une identité visuelle forte et reconnaissable qui se met en place, à laquelle on peut ajouter le sombre, l’ombre, qui par ses subtils jeux permet de mettre en scène la beauté simple des choses.

Pour illustrer cet article et comme le choix des couleurs traditionnelles japonaises est immense nous avons sélectionné quelques beaux bleus.

 

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